Les inquiétudes des élus locaux quant au risque pénal inhérent à leurs fonctions sont fortes. D’après les résultats d’une consultation des élus locaux qui s’est achevée le 31 janvier 2018, 35% des élus locaux estiment que le risque pénal est une cause de la crise de vocation des élus et 87% estiment nécessaire de réviser le régime de responsabilité pénale des élus locaux. En effet, bien que la mise en cause pénale des élus demeure un phénomène rare, le nombre de poursuites engagées à leur encontre augmente.
Notre experte !
Christine Méjean, avocate en droit pénal des affaires, fondatrice d’Abyl Avocats et formatrice pour Tous Politiques ! nous apporte son éclairage sur le sujet !
[Tous Politiques !] : dans un contexte de crise sanitaire, cette question est d’autant plus d’actualité. En effet, certains élus ont récemment dénoncé le risque pénal auquel ils s’exposaient en cas de recrudescence du virus sur leur commune, notamment dans le cadre de la réouverture des écoles. Plus concrètement, à quels risques pénaux les élus locaux peuvent-ils être confrontés dans le cadre de l’exercice de leur fonction ? Quelles sont les infractions les plus courantes ?
Les risques pénaux sont inhérents à l’exercice de responsabilités, et ce, dans toutes les organisations qu’elles soient publiques ou privées. Les responsabilités attachées aux fonctions d’élu local ne dérogent pas à « la règle ». Les risques pénaux pris par les élus sont nombreux, issus de multiples textes prévus par des lois particulières et par le code pénal. Si leur occurrence est statistiquement faible, leur concrétisation a toujours des conséquences graves a minima en termes de réputation et ce, quelle que soit l’issue finale des éventuelles poursuites. Certaines périodes comme les périodes électorales sont également propices à la concrétisation de ces risques.
La peur de ces risques est tout à fait légitime, surtout dans le contexte actuel de régulation plutôt abrupte de la sphère publique vers plus d’éthique et de transparence, ou encore suite à l’augmentation des délais de prescription. Cependant, nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que cela aboutisse à une raréfaction des candidats aux fonctions d’élus locaux. Nous ne pouvons pas laisser la peur appauvrir la gouvernance de notre démocratie ! Nous devons faire en sorte que les risques pénaux ne puissent plus être invoqués comme l’une des causes principales de la crise de vocation des élus locaux !
Pour vaincre la peur, il faut en premier lieu se donner les capacités de comprendre ce qui nous effraie ! La capacité de vaincre la peur des risques pénaux passe par une meilleure connaissance de ceux-ci puis par la mise en place d’outils pour les gérer.
Aujourd’hui, notamment dans la continuité du mouvement de transparence évoqué plus haut, les infractions qui donnent lieu aux poursuites les plus courantes sont les atteintes dites à la probité comme la prise illégale d’intérêt, le favoritisme, le trafic d’influence, la corruption, le pantouflage, ou encore le détournement de fonds publics. Ainsi, dans ma pratique quotidienne, je vois de plus en plus de poursuites initiées pour des faits de cette nature par des alertes citoyennes mais aussi, encore, malheureusement beaucoup de dénonciations « collatérales » guidées par des sentiments de « représailles » personnelles ou politiques. Dans ce domaine, depuis la loi du 11 octobre 2013, les élus doivent ajouter à leur vigilance leurs obligations en matière de transparence de la vie publique et ce, dès la transmission des informations concernant leurs situations.
Font également fréquemment l’objet de plaintes et de poursuites des faits d’atteintes à l’honneur, à la dignité et à l’intégrité psychique comme la diffamation ou le harcèlement ou encore, bien que moins fréquentes, des faits d’atteintes à l’intégrité physique comme les délits d’homicide ou blessure involontaire, ou encore de mise en danger de la vie d’autrui.
Si cette liste d’infractions ne peut que légitimer les inquiétudes, il est aussi possible et relativement aisé de se donner les moyens d’éviter la réalisation de ces risques en acquérant des réflexes clefs et en faisant preuve de discernement et de prudence ! Enfin, à mon sens, mettre en place une politique de prévention et de gestion des risques pénaux constitue une véritable action d’intérêt général dans le sens où cela permet d’éviter ou de traiter le plus rapidement possible d’éventuelles mises en causes et de sauver le budget justice de notre pays !
[Tous Politiques !] : on comprend alors que les élus locaux auront tout intérêt à traiter rapidement ces situations. Pourrais-tu nous donner quelles bonnes pratiques que les collectivités et les élus peuvent mettre en place pour prévenir ces risques ? Tout particulièrement, que peut faire un élu afin de prévenir des situations de conflits d’intérêts ?
Les élus ne sont effet pas les seuls à porter le poids de la responsabilité pénale liée à l’exercice de leurs fonctions. Les collectivités peuvent être considérées comme responsables pénalement d’infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Les actions de prévention doivent donc être pensées au niveau de la collectivité. Comme pour toute opération de mise en conformité, compte-tenu de l’ampleur de la tâche et de son évolutivité, il est préférable de privilégier une approche agile en impliquant au maximum les différentes parties prenantes pour une co-construction au plus près de la réalité de terrain, en adoptant une mise en place progressive à la mesure des moyens humains, financiers disponibles pour générer le maximum d’adhésion et en intégrant une approche pluridisciplinaire afin d’appréhender la complexité des sujets.
Les principaux outils d’action seront la cartographie des risques, les outils d’information, les programmes de formation, les procédures et les contrôles.
Afin de rationaliser la chaîne des responsabilités, une bonne pratique serait la mise en place de délégations de pouvoir formelles afin de diffuser les risques auprès des personnes qui disposent du véritable pouvoir de décision dans le domaine concerné dès lors qu’elles disposent également de l’autorité, de la compétence et des moyens pour l’exercer.
Pour prévenir plus particulièrement les situations de conflits d’intérêt, une bonne pratique serait d’élaborer un guide de conduite qui rappellera les obligations d’information, de déport, les modalités de leur mise en œuvre, et qui sera au maximum illustré de cas issus de la pratique de terrain pour en faire un document de référence facile d’utilisation au quotidien !
[Tous Politiques !] : quels conseils donnerais-tu aux élus qui seraient mis en cause pénalement ? De quel régime de protection les élus bénéficient-ils ?
Se préparer à l’éventualité d’une mise en cause bien avant qu’elle ne soit là pour avoir les réflexes et le discernement nécessaires à la meilleure réaction possible le jour où elle intervient. En effet, les affaires qui touchent à la vie publique ont souvent un retentissement médiatique important. Or, le temps médiatique est bien plus rapide que le temps judiciaire ! Les premiers temps d’une affaire médiatique sont d’autant plus capitaux qu’ils ont des conséquences quasi indélébiles en matière de réputation mais aussi des impacts non négligeables sur le traitement de la procédure judiciaire.
En fonction de la gravité de la situation, une approche complexe pourra être mise en place qui intégrera des compétences de communication de crise, outre les compétences juridiques adéquates. Il s’agira de résister à la pulsion « fight or flight » et de prendre le temps d’analyser sereinement les faits qui nous sont reprochés, les risques encourus et les éléments de défense à notre disposition. Ce sera seulement ensuite, le cas échéant, qu’il sera possible de communiquer et de prendre la parole, tant dans le cadre de la procédure judiciaire que publiquement, sur les réseaux sociaux ou dans les médias.
Dans tous les cas, y voir le plus clair possible dès le début permet d’avancer le plus sereinement possible tout au long de la procédure qui peut être très longue, et de la rendre le moins désagréable possible. C’est aussi maximiser les chances d’avoir une décision juste in fine notamment au regard de l’implication de l’élu dans ses fonctions et de son intention d’agir dans l’intérêt général.
Pour pouvoir mettre en œuvre la meilleure défense possible et dans les meilleurs délais, les élus bénéficient en effet d’une protection fonctionnelle légalement prévue dès la mise en œuvre de poursuites pour des faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions. A contrario, dès lors qu’il y aura une faute détachable du service, d’ordre personnel donc, cette protection ne pourra pas fonctionner. Elle doit être demandée dès le début de la procédure et pourra couvrir le cas échéant tant les frais d’avocat, de procédure, que les condamnations pécuniaires au titre de la responsabilité civile dans le cas où la faute n’est pas détachable des fonctions. Cette protection ne couvrira pas les condamnations pénales.
Enfin, cher.e lecteu.r.rice, il ne me reste plus qu’à espérer que toutes ces informations et ces conseils ne vous serviront jamais !